jeudi 26 février 2015

La longue attente de l'ange - Melania G. Mazzucco

Par Ariane



Auteur : Melania G. Mazzucco

Titre : La longue attente de l’ange

Genre : roman

Langue d’origine : italien

Traducteur : Dominique Vittoz

Editeur : Flammarion

Nombre de pages : 445p

Date de parution : août 2013

Présentation de l’éditeur :

Venise à la fin du XVIe siècle. Le Tintoret, peintre volcanique, anticonformiste et plein d’ambition, s’est battu par tous les moyens pour asseoir sa réputation. A l’approche de la mort, il s’interroge sur son existence en tant qu’artiste et sa vie familiale mouvementée. Au cœur de ses pensées se trouve sa fille illégitime adorée, qui a appris la musique et la peinture à ses côtés : Marietta, l’incarnation de ses rêves et son œuvre la plus réussie. Dans une Sérénissime au décor singulier se nouent une foule d’histoires merveilleuses habitées par des personnages inoubliables, parmi lesquels se détache la figure solitaire et émouvante de Marietta.



Mon avis :

Un grand maître de la peinture italienne du XVIème siècle, Venise, l’amour d’un père pour sa fille, une figure féminine hors normes,… Voilà les ingrédients principaux de ce roman.

Dans les derniers jours de sa vie, Jacopo Robusti dit le Tintoret, se souvient de sa vie en s’adressant à Dieu. De son enfance et sa fascination pour les couleurs auprès de son père teinturier, de ses débuts dans la peinture, de son rejet par le Titien, de ses années de misère, de ses premiers succès, de sa célébrité, de son art,… Il évoque aussi sa soif de reconnaissance :

« Pourtant un artiste connaît le vrai succès quand le public l’appelle par son prénom. Cette familiarité n’est pas une marque d’intimité, mais au contraire de respect. On ne l’appelle pas par son prénom comme un frère ou un ami, parce qu’on a l’impression de le connaître, mais comme un roi. Les plus grands artistes n’ont pas besoin de nom de famille, encore moins de surnom. Je rêvais du jour où les gens diraient Jacomo comme ils disaient Raphaël, Titien, Michel-Ange. »

J’ai beaucoup aimé découvrir le contexte de création de ces œuvres, non seulement le contexte historique mais aussi dans la vie personnelle de l’artiste. Car à ces œuvres sont attachés des souvenirs, des moments clés de la vie familiale du Tintoret. J’ai trouvé particulièrement intéressant de resituer ces œuvres dans la vie d’un homme, voir justement l’homme derrière l’artiste.

Mais ce sont surtout ses relations avec ses enfants qui lui reviennent en mémoire. Le Tintoret eut huit enfants légitimes. Il se souvient de chacun d’eux, même si certains ne semblent pas compter énormément pour lui, notamment ses quatre filles.

Mais la figure la plus importante dans la vie du Tintoret est sa fille illégitime Marietta, née de sa relation avec une prostituée quelques années avant son mariage. Jacomo voue un amour sans limites à sa fille. Marietta servira de modèle pour plusieurs œuvres majeures de son père, notamment pour La présentation de la Vierge Marie au Temple qui se trouve à l'église de la Madonna dell'Orto :

Cette relation est fusionnelle, passionnelle, limite incestueuse. Les sentiments que le Tintoret éprouve pour sa fille ne sont pas seulement paternels et l’auteur emprunte régulièrement au vocabulaire amoureux. Je dois avouer que cela m’a un peu mise mal à l’aise. Pour elle il n’hésitera pas à braver les conventions. Il fera de sa petite fille son apprentie, la travestissant en garçon pendant son enfance et son adolescence, l’appelant alors Gabriel. Il lui donnera pinceaux et couleurs, lui apprendra à peindre et la laissera vivre comme aucune autre femme de Venise ne vit. Marietta aura droit à l’éducation et à une certaine liberté de mouvements et de paroles. Marietta, peintre et musicienne, est une figure féminine exceptionnelle. La Tintoretta, comme elle était surnommée, fut réputée pour ses portraits et invitée à la cour de Philippe II d'Espagne et de l'empereur Maximilien. Elle mourut à l'âge de 36 ans, et son père ne se remit jamais de la mort de la jeune femme. L'ange c'est elle, attendant que son père la rejoigne.

Nulle liberté pour les autres femmes de la famille du Tintoret. Les hommes décident de leur vie, de leur avenir, de leur destin. Les femmes n’ont aucun choix « Tu dois sois te marier sois prendre le voile. Si tu veux vivre en marge et t’amuser quelques années, être utilisée puis jetée comme une vieille chaussette, alors fais-toi putain. Il n’y a pas d’autre choix. »La jeune Faustina n’a qu’une douzaine d’années lorsqu’elle épouse le Tintoret qui a dépassé les trente-cinq ans. Le Tintoret décide que ses filles légitimes seront religieuses et peu lui importe que le seul rêve de sa fille Ottavia soit d’être une épouse et une mère. J’ai été particulièrement émue par la supplique de la jeune fille :  

« Je veux une famille à moi (…) Je veux être une bonne épouse et une mère attentionnée, je suis prête, chaque mois je suis prête, ma vie est gaspillée, père, je ne veux pas être peintre, je ne veux pas être chanteuse ni musicienne ni artiste de cour, je me moque de la gloire, je ne veux pas être célèbre – je ne suis qu’une femme, cela me suffit et c’est déjà beaucoup, je ne voudrais jamais autre chose, pourquoi m’en empêches-tu, pourquoi me prives-tu de mon seul rêve ? »
Mais finalement, pas vraiment de liberté pour les fils de l'artiste. Si les filles sont prisonnières de leur condition féminine, les fils sont prisonniers de l'ombre de leur père. Ils ne sont que les "fils de", condamnés à rester dans l'ombre. Si Dominico le bon fils accepte son destin et renonce à son rêve de poésie, Marco se rebelle et Giovanni cherche à s'émanciper. 

Venise est la toile de fond de cette fresque familiale, artistique et historique. L’auteur revient sur les grands événements contemporains du Tintoret : la peste, la guerre contre les Trucs, l’incendie du palais des doges,… Sur les pas du Tintoret nous explorons la ville et ses canaux, pénétrons dans les églises, les monastères et le palais des doges ; admirons les œuvres des plus grands peintres. L’auteur dépeint aussi bien la vie quotidienne que les fêtes, le petit peuple que les familles aristocratiques, la vie culturelle et les commerces,… Bref une représentation complète et vivante de Venise à cette époque.

En revanche, j’ai trouvé le style de l’auteur un peu lourd par moment. J’ai mis plus de temps que d’ordinaire à lire ce livre qui pourtant me passionnait. J’aime beaucoup sa façon de parler du Tintoret « un homme qui se salit les mains avec des couleurs, avec l’incandescente matière des rêves. »

Un roman à découvrir pour ceux qui aiment l’art et Venise.
Quelques œuvres du Tintoret 



et un auto-portrait de Marietta




Extrait :

« Les curieux se pressent chez les artistes. Ils essaient de découvrir leur secret. Ils regardent nos humbles instruments de travail – qui se résument au fond à de simples baguettes de bois, des étoffes rêches, des poils fournis par les naseaux, les oreilles et le cul d’animaux fort sales – et nous questionnent sur nos manies, nos rites : comme si, en nous imitant, ils pouvaient s’approprier aussi notre capacité de créer. »

Lu dans le cadre des challenges Voisins, voisines et Tour du monde en 8 ans pour l'Italie, Un pavé par mois et Petit bac dans la catégorie Taille



4 commentaires:

  1. Un livre qui pourrait beaucoup m'intéresser :)

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    1. Beaucoup de choses passionnantes dans ce livre malgré l'écriture de l'auteure que j'ai jugée un peu lourde (l'écriture hein, pas l'auteur !).
      Ariane

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  2. C'est toujours intéressant ce type de roman pour en apprendre sur le peintre et son oeuvre, merci pour la découverte !

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    1. Je trouve aussi passionnant de découvrir un peu mieux de grands artistes.
      Ariane

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