vendredi 13 mars 2015

Le petit prince cannibale - Françoise Lefèvre

Par Ariane


Prix Goncourt des lycéens 1990
Auteur : Françoise Lefevre
Titre : Le petit prince cannibale
Genre : roman
Langue d’origine : français
Editeur : babel
Nombre de pages : 160p
Date de parution : 2005 

Présentation de l’éditeur : 
Femme déchirée, femme déchaînée, la narratrice est un écrivain qui tente de raconter l'histoire de Blanche, une éblouissante cantatrice que la mort ronge vivante. Mais elle est d'abord la mère de Sylvestre, l'enfant autiste qu'elle veut à tout prix faire accéder à la vie et au monde des autres. Or le petit prince cannibale en ce combat dévore les phrases, les mots de la mère écrivain. Dès lors c'est un véritable duo concertant qui s'élève dans les pages du livre entre deux voix, entre deux femmes, l'une, superbement triviale, s'affrontant à tous les interdits et préjugés qui menacent son enfant, l'autre, la romancière, passionnée, dont les espoirs et les désespoirs se mêlent à ceux de Blanche, son héroïne. 

Mon avis : 
Dans ce roman, Françoise Lefèvre évoque les premières années de son fils autiste. Des années de combat contre l’autisme, où chaque progrès est une victoire gagnée au prix de grands efforts. Élever un enfant autiste est incompréhensible pour qui n’a pas vécu cette situation. Le terme de cannibale du titre prend tout son sens : « Je me souviens de tout et de rien. Si je devais n’employer qu’un seul mot pour parler de cette époque, je dirai « transfusion ». J’ai la nausée et le vertige quand je me rappelle certaines étapes, ces heures chaotiques où j’ai cru perdre ma vie à t’insuffler toute mon énergie. J’ai cru perdre la tête à lutter contre ta force d’opposition, tes refus, tes colères et surtout tes cris. Tes cris me transperçaient le cerveau. Je t’aurais tué parfois de me faire si mal, d’aspirer avec tes hurlements toute ma poésie. Mes pensées. Ma bonne volonté. Tout mon amour. Mon increvable amour pour toi. Tu prenais tout et ne donnais rien. Tu mettais toute ton énergie à ne rien donner. »
Elle évoque aussi les jugements des autres devant ce handicap si mal compris « Tu m’éreintes, Sylvestre, tu m’éreintes. Mais les autres me fatiguent encore davantage. Le chœur des autres. Ceux qui savent tout et n’écoutent rien. »
C’est un roman d’amour, un roman de bataille. Le roman de l’amour d’une mère pour son fils, le roman d’une bataille pour faire sortir l’enfant de son isolement et petit à petit l’amener au monde. C’est cela finalement, une deuxième naissance lorsque l’enfant sort de son mutisme et commence à communiquer. Jean est mort, l’enfant s’appelle désormais Sylvestre, un nouveau prénom puisqu’il a une nouvelle vie.  
L’auteure porte en elle un roman qu’elle peine à écrire. Le personnage de Blanche la hante et le destin de celle-ci semble évoquer le destin de cette mère et de son fils. J’ai vraiment apprécié la façon dont l’auteur parle de son métier d’écrivain « Il y a tant de retrait, d’enfermement dans l’acte d’écrire que c’est étrange d’imaginer toutes ces pages ayant leur propre vie. Infusant à d’autres êtres une force bénéfique, alors que pour les écrire on s’est privé de tout. » Elle parle d’enfermement et de retrait pour le métier d’écrivain, finalement l’écrivain serait-il aussi enfermé que le sont les autistes ? L’acte d’écrire leur permettant de faire communiquer leur monde intérieur avec le monde extérieur.  
Les mots de l’auteur se déversent tantôt avec douceur, tantôt avec fureur. Au départ j’ai eu un peu de mal avec ce déferlement de mot, je me suis sentie happée, submergée. Et finalement, je me suis laissé porter et emporter par la vague des mots. Que de force dans ce texte ! De nombreux passages m’ont marquée et bouleversée, les mots de Françoise Lefevre sont d’une grande beauté.   
Certains ont reproché à l’auteur de ne pas avoir évoqué (ou à peine, en remerciement) le rôle des professionnels et du père auprès de l’enfant. Mais ce roman n’est pas l’histoire d’une thérapie. C’est l’histoire d’une mère et de son fils.
C’est une histoire forte et profonde, une très belle histoire d’amour. 
Devenu adulte, Sylvestre (ou plutôt Hugo) a également écrit un livre racontant son histoire L’empereur c’est moi. Il a également participé à un documentaire dans lequel il parle de son autisme : Hugo parle de Sylvestre de Sacha Wolf. 

Extrait : 
« N’est-ce pas mieux de penser que tu es un Petit Prince plutôt qu’un enfant psychotique, présentant des troubles du comportement et de fortes tendances autistiques ? Ces étiquettes ne m’intéressent pas, aussi grises, aussi anonymes que les murs d’un hôpital. Face à toi, je suis face à un être qu’il faut sauver, un être enseveli sous les décombres. Un emmuré vivant. Te sortir de là. Te tirer de dessous ces pierres enchevêtrées. T’arracher à cette ville morte. »

Lecture commune avec Jostein

Lu dans le cadre des challenges Amoureux et Goncourt des lycéens
 

9 commentaires:

  1. J'aime ton parallèle entre les mondes fermés de l'auteur et de l'autiste avec la difficulté de communiquer. Personnellement, je ne reproche pas à l'auteur de passer outre le sentiment des soigneurs, mais j'aurais aimé en savoir plus sur le passé juste effleuré. Ce qui m'incite à découvrir d'autres romans de l'auteur. Merci pour cette lecture commune.

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    1. Lorsque j'ai parlé de ces reproches envers l'auteur ce n'est pas de ta critique que je voulais parler, j'espère que tu ne l'as pas pris pour toi. Mais j'ai lu plusieurs avis de blogueurs qui étaient vraiment dérangés par le fait que l'auteur n'évoque pas les soignants ni le père de son fils et ont eu le sentiment qu'elle se voyait comme l'unique aidant/thérapeute/responsable de son fils.
      Ariane

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  2. J'ai beaucoup aimé ce livre. Le fait que l'auteur n'évoque guère le père ou les soignants ne m'a pas gênée car j'ai également pensé que c'était avant tout l'histoire d'une mère et de son fils qu'elle souhaitait raconter.
    Daphné

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  3. Ce livre est dans ma wishlist depuis plusieurs années. Je suis certaine que ce roman me plaira. En tant que maman, on ne peut rester insensible à ce genre de roman
    évoquant l'amour maternel. Ton avis me conforte dans cette idée.

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    1. C'est vrai qu'en tant que maman je me suis reconnue dans certains passages traitant de l'amour maternel.
      Ariane

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  4. J'aime énormément l'écriture de Françoise Lefèvre et pourtant je n'ai pas lu celui-ci. Je pense le faire tôt ou tard.

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  5. Je me souviens d'une relation mère enfant très forte aussi.

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